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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

réglée. Elle accomplissait ses devoirs quotidiens avec une sérénité si profonde que ce ne fut que par l’expression de tristesse de son visage, par la réserve et la gravité de ses allures que le monde devina que quelque nouveau malheur était venu l’accabler.

Clément l’avait trop étudiée pour ne pas deviner ce malheur mieux que tout autre. Il avait remarqué le changement de son costume quand elle avait pris un deuil modeste pour la mort de son père. Il s’aventura à lui exprimer ses regrets pour la perte qu’elle venait de faire. Elle lui dit avec un accent de douce tristesse qu’elle avait récemment perdu quelqu’un qui lui était très-cher, que cette perte avait été soudaine, et qu’elle était pour elle une cause de grand chagrin. Mais ce fut tout, et il était trop bien élevé pour lui faire une question indiscrète sur ce sujet délicat.

Mais tout en s’abstenant de parler plus longuement, le caissier réfléchissait profondément sur la conduite de la maîtresse de musique de sa nièce, et un soir du mois de septembre, qui n’était pas un de ceux réservés pour les leçons de Mlle Wentworth, il traversa Wandsworth Common, et se dirigea vers la ruelle où Godolphin Cottages se cachaient à l’ombre des sycomores.

Margaret n’avait que de courts instants de loisir. C’était pour elle une sorte de bonheur mélancolique de pouvoir penser librement à son père et à l’étrange histoire de sa mort. Elle se tenait auprès de la petite porte du jardin, précisément au-dessous de la fenêtre de sa chambre. C’était l’heure du crépuscule et la nuit approchait rapidement. On était aux derniers jours du mois ; les feuilles tombaient des arbres et couraient avec un bruit strident sur le chemin poudreux.

La jeune fille appuyait son coude sur le haut de la porte et un châle noir couvrait sa tête et ses épaules. Elle était fatiguée et malheureuse, et se tenait debout dans une attitude mélancolique, fixant tristement ses