Page:Braddon - Henry Dunbar, 1869, tome I.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
186
HENRY DUNBAR

regards vers une échappée de la rivière au bout de la ruelle ; elle ne releva la tête que lorsqu’une voix d’homme lui dit doucement :

— Bonsoir, mademoiselle, n’avez-vous pas peur de prendre froid ? J’espère que votre châle est épais, car la rosée tombe, et ici, près de la rivière, il y a toujours du brouillard dans les soirées d’automne.

Celui qui parlait était Clément.

Margaret leva les yeux sur lui et un sourire pensif se joua sur sa figure. C’était quelque chose pour elle d’entendre résonner à ses oreilles cette voix mâle et sonore où respirait la bonté. Le monde avait été si vide pour elle depuis la mort de son père ; elle avait été si complètement abandonnée depuis son triste voyage à Winchester et sa visite inutile à Portland Place ! Car depuis cette époque elle avait fui le monde, abîmée dans son chagrin et séparée de l’humanité par la nature exceptionnelle de ses souffrances. C’était quelque chose pour cette pauvre jeune fille d’entendre de bonnes paroles, aussi les larmes retenues jusqu’alors vinrent-elles obscurcir ses yeux.

Depuis le soir où elle avait essayé de se faire recevoir dans la maison de Dunbar, elle n’avait parlé de son chagrin à aucune créature vivante. Elle était toujours connue dans le voisinage sous le nom de Margaret Wentworth. Elle avait pris des vêtements de deuil très-simples, et elle avait annoncé à ses voisins la mort de son père, mais elle ne leur avait pas dit de quelle manière il était mort. Elle n’avait confié son secret ni à des amis ni à des conseillers, elle avait porté seule son lourd fardeau. Ce fut à cause de cela que la voix amicale de Clément produisit en elle une émotion inaccoutumée. La malheureuse jeune fille se souvint de cette soirée où elle avait appris la nouvelle du meurtre, et la sympathie que Clément Austin lui avait témoignée en cette occasion lui revint à l’esprit.