Page:Braddon - Henry Dunbar, 1869, tome I.djvu/206

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
202
HENRY DUNBAR

une caverne dans le flanc de la colline sans autre outil que ses ongles qu’il avait laissés croître depuis la mort de l’infortunée châtelaine. On disait aussi qu’à une certaine époque de l’année le vêtement blanc de la victime se voyait la huit flottant sur les eaux du torrent ; mais comme, à l’exception d’une femme visionnaire, personne à Jocelyn n’avait vu le fantôme, les habitants du château s’étaient si peu préoccupés de la légende, que la date de l’anniversaire avait fini par être oubliée.

Sir Philip pensait qu’il se marierait un jour ou l’autre, mais, en attendant, il ne S’occupait que fort peu des jolies filles des hobereaux du voisinage qu’il rencontrait aux courses, aux tirs à l’arc, aux expositions d’horticulture, aux banquets et aux bals qui se donnaient dans le vieil hôtel-de-ville de Shorncliffe. Il était heureux, et comme il contemplait le monde du balcon de son salon d’où il ne voyait que son propre domaine, soigneusement enclos de haies, il pensait que les lamentations sur l’amertume de l’existence et la corruption de ce bas monde étaient folles, et qu’en somme, la terre était un lieu charmant, dont un homme sain d’esprit avait bien peu de motifs de se plaindre. Il s’était fait construire un atelier à Jocelyn, et il y passait de longues heures, sifflant des airs de chasse et couvrant ses toiles de scènes agrestes, de cavaliers arabes, de types d’enfants italiens, de toutes sortes d’objets plaisants que protégeaient des ciels d’un azur idéal, entrecoupés des bandes pourpres et orangées des couchers de soleil. Sir Philip n’était pas un grand peintre, et n’avait en réalité aucun élément de grandeur en lui, mais il entendait la peinture comme l’équitation, ses sujets étaient brillants et joyeux, et ses tableaux étaient de ceux dont les bonnes gens disent : « C’est gentil. »

Il était très-gai et peut-être était-ce là son plus grand charme. C’était un homme chez lequel nulle mode,