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HENRY DUNBAR

et d’emporter une bouteille de vieux madère dans la poche de son habit de chasse pour en faire présent à quelque bonne mère de famille affligée d’un enfant malade. Il passait des heures à raconter à un laboureur les usages étranges des fermiers du continent, et il était le parrain (par procuration) de tous les marmots blonds, à dix milles à la ronde. Le vice et la débauche étaient étrangers à cette calme existence. Pas la moindre paysanne n’avait maudit son nom en allant se noyer dans quelque ruisseau perdu. On l’aimait, et il était digne de cet amour et du respect qu’on lui portait. Il n’avait pas remporté de couronnes universitaires à Oxford, mais les dignitaires les plus empesés ne pouvaient s’empêcher de sourire en parlant de lui et en se rappelant les folies d’enfant qui s’associaient à son nom. Il avait fait une rente viagère à un vieux domestique impotent, et ses fournisseurs rendaient témoignage de ses habitudes loyales et généreuses. Je ne sache pas que de sa vie Philip ait causé une douleur ou un chagrin à un être humain, à l’exception de son héritier légitime qui aurait pu voir de mauvais œil l’aspect vigoureux du jeune homme, ce qui rendait bien insignifiantes les chances de son successeur.

Cet héritier eût grincé des dents dans un accès de rage impuissante s’il eût pu connaître la crise qui survint quelque temps après le retour de Dunbar de l’Inde : cette crise fréquente chez les jeunes gens qui n’y prennent pas garde, mais qui n’en est pas moins solennelle et terrible.

Le maître de Jocelyn’s Rock devint amoureux. Toute la poésie de sa nature, tous ses sentiments les meilleurs, tous les attributs les plus purs de sa nature imparfaite se concentrèrent en une passion. Philip Jocelyn devint amoureux. Le puissant magicien agita sa baguette, et tout l’univers se transforma en un pays féerique, un délicieux paradis, un Éden moderne