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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

Laura éprouva quelque chose de ce genre, car elle dit au bout d’un moment d’un ton moitié impatient, moitié triste :

— Ce que je veux que cela me fasse, Élisabeth ? mais le monde est changé depuis hier. Quand je suis revenue à la maison avec mon père, après les courses, tout sur terre m’a semblé beau et brillant. La joie inondait mon cœur, et je pouvais à peine croire que nous étions en hiver et que ce n’était que le soleil de novembre qui brillait au ciel. Toute ma vie future semblait se dérouler devant moi, comme une interminable galerie de beaux tableaux, de tableaux où je me voyais toujours avec Philip toujours heureux, et toujours ensemble. Aujourd’hui, aujourd’hui, ah ! comme tout est différent ! — s’écria Laura en frissonnant légèrement, — le ciel qui me masque la prairie là-bas me masque aussi l’avenir. Je ne vois rien au delà. Si je devais être séparée de Philip en ce jour au lieu d’être unie à lui par le mariage, je crois que je ne serais pas plus triste que je ne le suis maintenant. Pourquoi donc cela, chère Élisabeth ?

— Mais, bonté divine, — s’écria Mme Madden, — comment puis-je vous le dire, ma chère enfant ? Vous parlez exactement comme un livre de poésies, et à moins que je ne sois moi-même un autre volume de poésies, je ne vois guère comment on pourrait vous répondre. Allons, déjeunez, ma chère enfant gâtée, et goûtez-moi ces œufs frais. On dit que les œufs frais donnent de la gaieté, mon cher cœur.

Laura prit place dans un bon fauteuil entre la cheminée et la petite table à déjeuner. Elle fit semblant de manger pour faire plaisir à sa vieille nourrice qui trottinait avec inquiétude dans la chambre, s’arrêtant tantôt derrière le fauteuil de Laura, et la poussant à prendre ceci et cela, et tantôt courant à la table de toilette pour faire quelques arrangements nouveaux à la pa-