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HENRY DUNBAR

rure de la mariée, ou bien s’approchant de la fenêtre et osant sans rougir annoncer que le ciel s’éclaircissait.

— Le brouillard disparaît là-bas derrière les ormes, mademoiselle, — dit Élisabeth, — on voit par une échappée un coin du ciel bleu, ou du moins s’il n’est pas bleu il est bien moins noir que les nuages qui l’environnent, et c’est déjà quelque chose. Mangez une tranche de ce pâté du Périgord ou bien de ce jambon de Strasbourg, mademoiselle, ou sinon vous vous trouverez mal au pied de l’autel. Ne persistez pas à vouloir vous marier l’estomac vide. Comment voulez-vous faire aussi bonne figure que vous le pouvez, mon cher amour, si vous entrez dans l’église mourant de faim, comme ces mendiants respectables qui portent attaché sur le devant de leur habit un bout de papier avec ces mots : « J’ai faim ! » en grosses lettres, et qui se tiennent au bout de l’un des ponts du côté de Surrey ? Ah ! je ne croirais jamais que vous vouliez avoir une mine pareille en un jour comme celui de votre mariage. Non, je ne le croirais pas quand bien même on m’offrirait de devenir la femme d’un baronnet !

Laura ne fit que très-peu attention au bavardage décousu de sa nourrice ; et je suis forcée d’avouer qu’en cette occasion la bonne Mme Madden parlait plutôt pour parler que pour donner un libre cours à une surabondance de gaieté folle.

La bonne femme subissait aussi bien que sa maîtresse l’influence de cette matinée froide, humide et désolante. Mme Madden était superstitieuse comme le sont généralement, plus ou moins, la plupart des gens ignorants et simples d’esprit. La superstition n’est en somme qu’une poésie vague, n’ayant pas conscience d’elle-même, qui est à l’état latent dans le plus grand nombre des natures, si l’on en excepte toutefois ces esprits froids et pratiques qui ne croient à rien, pas même au Ciel lui-même.