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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

et Margaret, suivant l’habitude des femmes en général, l’aimait avec dévouement et le croyait le plus noble et le plus brillant des hommes.

Le travail n’était pas une peine pour elle. Elle ne craignait pas les longues courses et les fastidieuses leçons qu’elle donnait pour le minime salaire que ceux qui l’employaient osaient lui offrir ; ils n’avaient pas honte de marchander les quelques misérables shillings qui étaient si nécessaires à l’infortunée qui mettait tant d’ardeur à les gagner. Son plus grand chagrin était de voir que son père, qui pour elle réunissait toutes les conditions nécessaires à une haute position, était un réprouvé et un pauvre.

Elle le lui disait parfois avec regret et tendresse en s’asseyant à côté de lui et en passant autour de son cou ses bras potelés et caressants ; et il arrivait souvent que l’homme fort pleurait à chaudes larmes sur son existence perdue et sur la ruine qui l’avait accablé dans sa jeunesse.

— Tu as raison, Margaret, — disait-il parfois ; — tu as raison, ma fille. J’aurais dû être quelque chose de mieux. J’aurais dû, et j’aurais pu, peut-être, être quelque chose, sans un homme, non, sans un vil scélérat dont la trahison détruisit ma réputation et me laissa seul au monde pour lutter contre la société. Tu ne sais pas ce que c’est, Margaret, que d’avoir à soutenir une lutte pareille. Un homme qui a commencé la vie avec un nom honnête et un bel avenir se trouve jeté, par une seule erreur, au milieu d’un monde sans pitié qui lui reproche sa chute. Sans nom, sans amis, sans réputation, il faut qu’il recommence de nouveau la vie, ayant contre lui le mépris de tous les hommes. Il est le paria de la société. Les visages qui lui souriaient jadis avec bonté se détournent de lui avec un froncement de sourcils. Les voix qui faisaient son éloge s’élèvent contre lui. Chassé de tous les endroits où il