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HENRY DUNBAR

de loisir de son protecteur ! — s’écria le Major Vernon avec le ton étudié d’un traître de mélodrame.

Dunbar laissa échapper un soupir de soulagement.

— Oui, cela vaudrait mieux, — dit-il ; — je pourrai vous parler plus à l’aise après le dîner.

— Eh bien ! c’est dit, mon vieux camarade. Au réservoir, comme nous disons dans les classiques.

Le Major Vernon tendit une main brunie d’une propreté douteuse. Le millionnaire la toucha du bout de ses doigts gantés.

— Au revoir, — dit-il ; — je vous attendrai à neuf heures. Trouverez-vous votre chemin ?

Il ouvrit la porte en parlant et montra du doigt la direction du vestibule à travers une enfilade de deux ou trois appartements. L’indication laissait un peu à désirer. Le Major releva le collet en poil de chien de son habit par-dessus ses oreilles, et sortit en n’exposant que son nez à l’influence atmosphérique.

Dunbar ferma la porte et s’approcha de l’une des fenêtres. Il appuya son front contre la vitre et suivit de l’œil la silhouette du Major qui s’effaçait rapidement le long de l’allée carrossable bordant la pelouse.

Le banquier attendit que sa connaissance mal vêtue eût complètement disparu. Alors il revint auprès du feu, se laissa tomber lourdement sur son fauteuil, et poussa un long gémissement. Ce n’était pas un soupir, c’était un gémissement, un gémissement qui semblait sortir du fond d’un cœur torturé par l’angoisse d’un désespoir complet.

— Ceci décide tout ! — murmura-t-il ; — oui, ceci décide tout. Il y a longtemps que je m’attendais à une crise, mais ceci termine tout.

Il se leva, passa sa main sur son front et sur ses yeux comme un homme qui s’éveille d’un long sommeil, puis il alla jouer son rôle dans la grande affaire de la journée.