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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

Il y a une très-grande différence entre les sentiments d’un pauvre aventurier qui, par quelque heureux hasard, peut s’abattre sur un riche ami, et les sentiments de la victime riche sur laquelle il fond. Rien ne pouvait offrir un contraste plus frappant que celui qui existait entre la situation actuelle de Dunbar, le banquier, et celle du gentleman qui désirait qu’on l’appelât Major Vernon. Tandis que Dunbar semblait plongé dans les profondeurs du désespoir, par l’apparition soudaine de son ancienne connaissance, le digne Major manifestait une joie qui était presque bruyante.

Ce ne fut que lorsqu’il se trouva dans un endroit très-écarté du parc, où il n’y avait d’autres témoins que les daims timides rôdant à l’abri des ormes dépouillés de leurs feuilles, — ce ne fut que lorsque le Major Vernon se sentit tout à fait seul qu’il lâcha les rênes à l’exubérance de sa gaieté.

— C’est une mine d’or ! — s’écria-t-il en se frottant les mains, — c’est une vraie Californie !

Il exécuta une gambade de satisfaction, et les daims épouvantés s’enfuirent de son voisinage ; peut-être le prirent-ils pour quelque gnome moderne se livrant à des danses fantastiques dans le bois humide. Il rit tout haut d’un rire creux et diabolique, puis il battit des mains avec tant de force, que le bruit en retentit dans la solitude rustique.

— Henry Dunbar, — se dit-il à lui-même, — Henry Dunbar ! ce sera une vache à lait… rien qu’une vache à lait ? Si…

Il s’arrêta tout à coup, et le sourire de triomphe qui faisait grimacer sa physionomie fit place à une expression sérieuse.

— S’il ne se sauve pas, — dit-il, s’arrêtant immobile et se frottant le menton avec la paume de la main. — S’il allait me glisser entre les doigts ! Il n’y aurait rien d’impossible.