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HENRY DUNBAR

idée, la femme la plus fidèle qui ait jamais existé sur terre, mais il y a une chose pour laquelle tu n’as pas ressemblé aux autres femmes.

— Laquelle, père ?

— Tu n’as pas été curieuse. Tu m’as vu chassé et disgracié chaque fois que j’ai essayé de me fixer quelque part ; tu m’as vu essayer tantôt un métier et tantôt un autre sans jamais réussir dans aucun. Tu m’as vu commis dans les bureaux d’un négociant, acteur, auteur, et simple paysan travaillant à la journée, et tu as assisté à l’insuccès de toutes mes tentatives. Tu as vu tout cela, et tu en as souffert, mais tu ne m’as jamais demandé pourquoi il en était ainsi. Tu n’as jamais cherché à découvrir le secret de ma vie.

Les larmes obscurcissaient les yeux de la jeune fille pendant que son père parlait.

— Si je n’ai pas cherché à savoir, cher père, — dit-elle avec douceur, — ç’a été parce que je comprenais que votre secret devait être pénible à avouer. J’ai passé des nuits entières à me demander quelle pouvait être la cause du malheur qui vous poursuivait partout. Mais pourquoi vous aurais-je adressé des questions auxquelles vous ne pouviez répondre sans souffrir ? J’ai entendu des personnes dire du mal de vous, mais elles n’ont jamais répété en ma présence les paroles qu’elles avaient prononcées une première fois.

Ses yeux flamboyaient à travers ses larmes, en disant cela.

— Oh ! père, cher père, — s’écria-t-elle, jetant tout à coup son ouvrage loin d’elle et s’agenouillant à côté de la chaise de Wentworth, — je ne vous demande pas de confidences s’il vous est pénible de me les faire, je ne veux que votre amour. Mais croyez bien, cher père… croyez bien ceci… que vous ayez, ou non, confiance en moi, rien sur terre ne pourra jamais vous aliéner mon cœur.