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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

« Je dis que je suis porté à la rêverie, et cependant j’ai peu de motifs de rêver ! Mes pensées étaient agréables pendant cette promenade par un beau coucher de soleil ; et cependant, aujourd’hui, je me demande avec étonnement ce qui avait pu me mettre ainsi du rose dans l’imagination. Je ne sais à quoi je songeais en revenant à la maison sous la clarté bleuâtre de la lune qui se levait et qui faisait étinceler son croissant pâle et délié dans un ciel sans nuage.

« J’entrai dans la petite ville de Wandsworth. Je parcourus l’antique rue Haute, cette bonne vieille rue qui me fait penser à un tableau de l’école flamande. Toutes les nuances sont brun foncé ; néanmoins, la lumière et la chaleur y abondent. Les lumières commençaient à briller çà et là aux fenêtres ; et ce soir-là, il me sembla voir des fleurs épanouies à toutes les ouvertures. Je parcourus nonchalamment la rue, m’arrêtant aux devantures de boutiques sans but, sans motif, en songeant.

« À quoi rêvais-je ce soir-là ? Comment se faisait-il que le monde ne me semblait pas ridicule et vide ?

« Pendant que je regardais l’une de ces boutiques, celle d’un papetier, sorte de petit bazar dans son genre, — mes regards furent attirés par le mot « Musique ; » et sur une petite carte pendue à l’intérieur, je lus qu’une dame offrait de donner des leçons de piano, en ville ou chez elle, à des prix très-modérés. Le mot « très » était souligné. Il me parut que ce mot souligné avait un aspect lamentable et qu’il semblait implorer. L’annonce était écrite d’une main féminine, d’une jolie écriture, élégante et lisible, ferme et cependant gracieuse. Je me trouvais dans une position d’esprit toute nonchalante, tout disposé à me laisser mener où le vent me pousserait. Je pensais que je pourrais faire servir ma promenade à quelque chose en rendant visite à la propriétaire de l’annonce. Il était probable