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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

tir troublé par la beauté mélancolique de ce jeune visage, et que mon aplomb disparut sous l’influence de ces beaux yeux noirs et pensifs.

« Ce visage est si beau, si beau, que j’en vois sans cesse les moindres traits. Cependant je ne connaissais pas encore les mille expressions changeantes qui le font toujours aussi nouveau pour moi que le soir où il m’apparut pour la première fois. La décrirai-je cette femme que je connais depuis un mois à peine, et qui remplit le monde entier pour moi lorsque je pense à elle ? et j’y pense sans cesse. La décrirai-je pour le plaisir du Nouveau-Zélandais, quand la meilleure description doit rester fatalement si fort au-dessous de la radieuse réalité, et quand l’action de résumer sa beauté par des mots vulgaires et rugueux paraît, en quelque sorte, un sacrilège contre la sainteté de cette perfection ? Oui, j’essayerai ; non pas pour le plaisir du Nouveau-Zélandais, qui aura sans doute une idée nouvelle et extraordinaire de la perfection féminine, et qui peut-être exigera le nez bleu et la chevelure verte dans ce type de la beauté parfaite. J’essayerai, parce qu’il m’est doux de m’arrêter sur cette image et de représenter cette image, chère à mon cœur, par des paroles, si incomplètes qu’elles soient. Si j’étais peintre, comme Claude Melnotte, je ne peindrais que son image. Si j’étais poète, je couvrirais des rames de papier de chants passionnés inspirés par sa beauté. Mais comme je ne suis qu’un simple caissier dans une maison de banque, je ne puis que lui élever un autel dans les pages banales de mon journal.

« J’ai dit qu’elle est pâle. Elle a cette pâleur de l’ivoire qui accompagne parfois les yeux noirs et les chevelures brunes. Les yeux sont de ce noir si rare, de ce noir à reflets dorés dont l’expression est si séduisante. Leur couleur ne varie pas, mais leur ex-