Page:Braddon - Henry Dunbar, 1869, tome I.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
63
HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

des renseignements sur la moralité, les capacités du professeur, et ainsi de suite.

« Je fus obligé d’avouer, à ma confusion, que je n’avais rien fait de tout cela. Alors ma mère me demanda comment il se faisait que je regardais la jeune dame comme remplissant toutes les conditions désirables ; cette question augmenta mon embarras. Je ne pus dire que je l’avais engagée parce qu’elle avait les yeux noirs et les cheveux de la même nuance, pas plus que je ne pus avouer que j’avais jugé de ses qualités de professeur à la ligne exquise de ses sourcils. Aussi, dans ce dilemme, j’eus recours à un expédient jésuitique dont je ne tirai pas une mince vanité. Je dis à ma mère que la tête de Mlle Wentworth était magnifique au point de vue phrénologique et que les organes de l’harmonie y étaient développés à l’extrême.

« Je me sentis honteux quand ma mère récompensa ce mensonge par un baiser et déclara que j’étais un garçon d’une habileté accomplie et un si bon juge, qu’elle se confierait plus volontiers à un étranger recommandé par moi qu’à l’expérience de toute autre personne.

« Après cela, je n’avais plus qu’à laisser faire le hasard ; et lorsque le lendemain soir je revins de la Cité, mon esprit était beaucoup moins occupé des événements commerciaux du jour que des probabilités d’habileté de la jeune femme comme professeur de piano. Ce fut avec un air de suprême indifférence que je demandai à ma mère si Mlle Wentworth lui avait plu.

« — Si elle m’a plu ! s’écria l’excellente femme. Mais, Clément, savez-vous qu’elle joue d’une façon magistrale. Quel doigté ! Quelle expression ! Dans ma jeunesse, on ne jouait ainsi que dans les concerts ; mais aujourd’hui des jeunes filles de dix-huit à vingt ans font, avec le clavier, des prodiges dignes d’un professeur. Je suis certaine qu’elle vous plaira beau-