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HENRY DUNBAR

fauteuil de maroquin, et regarda languissamment son compagnon en fermant à demi les yeux.

Wilmot ôta son chapeau.

— Je ne crois pas que vous m’ayez regardé bien attentivement, monsieur Dunbar, — dit-il.

— Vous regarder attentivement ! — s’écria le banquier, — mon cher monsieur, que voulez-vous dire ?

— Regardez-moi bien en face, monsieur, et dites-moi si vous voyez dans ma figure quelque chose qui vous rappelle le passé.

Dunbar tressaillit.

Il ouvrit les yeux cette fois et fit un mouvement d’étonnement en contemplant la belle figure qui lui faisait face. Elle était aussi belle que la sienne et presque aussi aristocratique. Car la nature, qui a d’étranges caprices de temps à autre, n’avait établi qu’une distinction presque imperceptible entre le banquier riche à millions et le forçat libéré sans ressources.

— Vous ai-je rencontré quelque part ? — dit-il. — Dans l’Inde ?

— Non, monsieur Dunbar, non, pas dans l’Inde. Vous le savez aussi bien que moi. Remontez un peu plus haut dans le passé, remontez à l’époque qui précéda votre départ pour l’Inde.

— Eh bien, après ?

— Vous souvient-il de la forte somme d’argent que vous perdîtes au Derby et du désespoir qui vous fit décrocher vos pistolets d’arçon suspendus au-dessus de la cheminée de votre chambre à la caserne pour vous brûler la cervelle ? Vous souvient-il que dans votre désespoir vous fîtes appel à un jeune homme qui vous servait de domestique et qui vous aimait beaucoup, plus peut-être que ne vous eût aimé un frère, quoiqu’il fût votre inférieur par le rang et la naissance, et eût pour mère une pauvre ouvrière ? Vous souvient-il que vous suppliâtes ce jeune homme, qui avait un talent