Page:Braddon - Henry Dunbar, 1869, tome II.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

lier de M. Kerstall ; vous me ferez un grand plaisir, Philip, en me répondant oui.

— Quand ai-je jamais répondu non à ce que vous m’avez demandé, Laura ? Nous allons nous rendre chez M. Kerstall immédiatement si vous le désirez. Mais pourquoi, chère amie, êtes-vous si impatiente de voir ce vieux portrait de votre père ?

— Parce que j’ai besoin de voir comment il était avant d’être allé aux Indes. J’ai besoin de voir ce qu’il était, jeune et beau, avant que le monde l’eût endurci. Ah ! Philip, depuis que nous nous sommes connus et aimés, il me semble que je ne tiens et ne pense à personne qu’à vous sur cette terre immense. Mais avant ce moment, j’avais un très-grand chagrin au sujet de mon père. Je m’attendais à le trouver si affectueux pour moi ! J’avais échafaudé tant de choses sur l’espoir de son retour, que je croyais que nous serions plus unis et plus chers l’un pour l’autre que jamais père et fille n’avaient été jusque-là. Je croyais tout cela, Philip ; toutes les nuits je faisais le même rêve, ce rêve heureux et brillant où je voyais mon père revenir auprès de moi, sentant ses bras vigoureux qui me pressaient contre sa poitrine, et les battements de son cœur qui se confondaient avec ceux du mien. Mais lorsqu’il revint à la fin, il me sembla que ce père était un homme de pierre ; son visage pâle, immobile, me repoussait ; sa voix dure et froide glaçait mon sang. J’avais peur de lui, Philip ; j’avais peur de mon père ; et peu à peu nous arrivâmes à nous fuir, jusqu’à nous regarder comme des étrangers, et pis que des étrangers, car j’ai vu mon père me regarder avec une expression d’horreur absolue que je lisais dans ses yeux sévères et cruels. Pouvez-vous vous étonner alors que j’éprouve le besoin de voir ce qu’il était dans sa jeunesse ? J’apprendrai à l’aimer peut-être, si je puis voir l’image souriante de sa jeunesse perdue.