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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

Jasper Rivington, qui était lord-maire dans l’année… le ciel me protège, comme les dates s’échappent de ma mémoire ! Je me souviens de l’avoir peint revêtu de sa robe, encore ! Oui, monsieur, oui, ma foi, monsieur, dans sa robe officielle. Il aurait voulu que je le fisse regardant par la portière de son carrosse d’apparat, monsieur, saluant la populace à Ludgate Hill, avec le dôme de Saint-Paul qu’on eût aperçu au fond ; mais je lui répondis que cette demande n’était pas praticable, je lui répondis que cela ne pouvait pas se faire, monsieur, je…

Laura regarda Kerstall jeune d’un air désespéré.

— Pourrions-nous voir les tableaux ? — dit-elle. — Je suis sûre que je reconnaîtrais le portrait de mon père, si par hasard il se trouvait parmi ces toiles.

— Mettons-nous donc tout de suite à l’œuvre, — dit l’artiste vivement. — Nous allons regarder vos tableaux, mon père.

Les toiles non encadrées étaient couchées tout autour de la chambre dans tous les sens, empilées contre le mur, amoncelées sur des buffets ; on en avait placé sur des planches pour débarrasser le chemin, et partout la poussière les recouvrait d’une couche épaisse.

— C’est presque une chambre d’horreurs, — dit le jeune Kerstall gaiement, — c’est ici qu’il exilait ses insuccès ; les esquisses des tableaux qu’il devait faire à un moment donné, des groupes ébauchés qu’il avait l’intention de retoucher et de refaire, des tableaux achevés qu’il n’a pas vendus, et tout le fouillis inutile de l’atelier d’un artiste.

Il y avait une grande quantité de croûtes de Kerstall père, croûtes très-classiques et fastidieuses au possible ; études d’après nature, grises, décolorées et musculaires, parsemées çà et là de tronçons de bras et de jambes inachevés. Il y avait un grand nombre