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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

dans le dessin de la lèvre supérieure vivement prononcée sur une épaisse moustache d’un blond cendré avec le bout très-effilé et qui frisait en relevant. C’était un de ces visages qui auraient pu appartenir au favori d’un puissant monarque ; le visage d’un Cinq-Mars, au faîte même de sa vertigineuse fortune, ayant une centaine de paires de bottes dans son cabinet de toilette, tandis que l’impassible cardinal de Richelieu attendait silencieusement le jour de son jugement. Buckingham avait le même sourire insolent sur les lèvres, le même éclat victorieux dans son regard d’aigle, en s’approchant du trôné de Louis le Juste, laissant les perles et les diamants s’échapper de ses ajustements, et sentant peser sur lui la caresse de l’amour coupable par les beaux yeux bleus de la reine Anne d’Autriche. C’était un de ces visages qui ne peuvent appartenir qu’à quelque puissant favori de la fortune défiant tout le genre humain, soutenu par la connaissance de ses suprêmes avantages.

Mais Laura secoua la tête en regardant ce portrait.

— Je commence à désespérer de trouver l’image de mon père, — dit-elle ; — jusqu’à présent je n’ai rien vu qui lui ressemblât.

Le vieillard leva sa main osseuse et désigna le portrait placé sur le chevalet.

— Ceci est la meilleure chose que j’aie faite, — dit-il ; — oui… la meilleure sans contredit. Elle a été exposée à l’Académie il y a trente-six ans… oui, par le ciel, monsieur, il y a trente-six ans ! et les journaux en ont parlé d’une façon très-flatteuse, monsieur ; mais l’homme qui l’avait commandé me le renvoya pour y faire des changements. L’expression de la tête ne lui plaisait pas ; mais, comme il me paya le portrait deux cents guinées, je n’avais pas de raison pour me plaindre ; et, si j’étais resté en Angleterre, cette connaissance eût pu être très-avantageuse pour moi, car c’é-