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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

Ne soyez donc pas honteux de me faire le récit d’une histoire d’amour, monsieur. J’ai été amoureux moi-même autrefois, bien que j’aie l’air d’un vieux copeau sec, et j’ai épousé la femme que j’aimais : c’était une petite paysanne, aussi fraîche et aussi innocente que les marguerites de l’enclos de son père ; et, jusqu’à ce soir, elle ne sait pas encore de quelle nature est mon travail. Elle croit que je suis quelque chose dans la Cité, cher petit cœur.

« Cette teinte de sentiment dans la conversation de M. Carter était tout à fait sans afféterie ; et je me sentais de plus en plus enclin à me confier à lui après cette petite révélation sur sa vie domestique, Je lui racontai très-brièvement l’histoire de ma connaissance avec Margaret, ne lui donnant que les détails indispensables. Je lui racontai les différents efforts de la jeune fille pour voir Dunbar, et la persistance du banquier à éviter sa présence. Je lui dis enfin notre voyage à Shorncliffe, et l’étrange conduite de Margaret après son entrevue avec l’homme qu’elle avait si vivement désiré de voir.

« Le récit de ceci, bien que je l’eusse fait rapidement, nous prit près d’une heure. Pendant tout le temps M. Carter était resté assis en face de moi, écoutant avidement, me regardant d’un œil fixe et invariable, et doigtant quelque passage musical sur ses genoux, avec des mouvements prudents de ses gros doigts et de ses pouces. Mais je pus voir qu’il n’écoutait pas seulement, mais qu’il réfléchissait et raisonnait sur ce que je lui racontais. Quand j’eus fini mon histoire, il demeura silencieux pendant quelques minutes ; mais il me regardait encore avec le même regard implacable et inexorable, et tapait encore ses doigts sur ses genoux, aussi lentement et de propos aussi délibéré que s’il avait composé une fugue à la manière de Mendelsohn.