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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

« Il ne me restait plus qu’une chose à faire. Sans doute le monde se détournerait de la fille du meurtrier, mais moi qui l’avais vue éprouvée dans la fournaise ardente de la douleur, je savais la perle précieuse que le Ciel m’avait donné dans cette femme dont le nom devait être à tout jamais réputé infâme parmi les honnêtes gens, et je ne reculais pas devant l’horreur de sa position.

« — Puisque j’ai été assez malheureux pour contribuer au malheur qui l’a frappée, pensais-je, ce sera un devoir pour moi de la rendre tranquille et heureuse dans l’avenir.

« Mais Margaret consentirait-elle à être ma femme, si elle apprenait jamais que j’avais contribué à découvrir le crime de son père ?

« Cette pensée m’obsédait pendant que j’étais assis en face de l’agent de police qui mangeait de bon appétit un excellent dîner, et dont l’expression de triomphe contenue m’était insupportable.

« Le succès grise. Il n’y avait donc rien d’étrange que M. Carter fût satisfait d’avoir réussi à élucider le mystère qui était si complètement demeuré lettre close pour ses collègues. Tant que j’avais pu croire à la culpabilité de Dunbar, je n’avais senti aucun regret à poursuivre le dessein que j’avais entrepris. Je m’étais même surpris quelquefois à partager l’ardeur de l’agent dans cette chasse à l’homme. Mais maintenant que je savais la honte et l’angoisse que notre découverte apporterait inévitablement à la femme que j’aimais, le cœur me manquait, et je détestais M. Carter à cause de la joie que lui causait son triomphe.

« — Il vous est indifférent de voyager par le train express, n’est-ce pas, monsieur Austin ? me dit tout à coup l’agent.

« — Parfaitement indifférent ; pourquoi me demandez-vous cela ?