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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

attendant le départ. Une fois, elle porta la main à sa ceinture, mais elle l’en retira aussitôt avec un soupir.

— Comme le temps me semble long ! — dit-elle, — comme il me semble long ! je n’ai plus de montre maintenant. Je ne puis savoir l’heure. S’ils étaient là devant moi, s’ils voyageaient dans ce même train ! Non, c’est impossible ! Je sais que ni Clément ni l’homme qui l’accompagnait n’ont quitté Winchester par le train qui m’a amenée à Londres. Mais s’ils avaient envoyé une dépêche télégraphique à Londres ou à Shorncliffe !

Cette idée la fit frémir. Si les hommes qu’elle craignait avaient fait usage du télégraphe, cette grande merveille de la science moderne, elle arriverait trop tard pour accomplir la mission qui l’amenait.

Le train s’arrêta à Shorncliffe pendant qu’elle pensait à cette fatale possibilité. Elle sortit et demanda à un des facteurs de lui amener une voiture ; mais l’homme hocha la tête.

— Impossible d’avoir une voiture à cette heure de la nuit, mademoiselle, — dit-il avec politesse. — Où voulez-vous aller ?

Elle ne voulut pas lui dire le lieu de sa destination ; du secret le plus absolu dépendait le succès de son projet.

— J’irai à pied, — dit-elle ; — je ne vais pas loin.

Elle quitta la gare avant que l’homme eût le loisir de l’interroger plus longuement. Elle suivit le chemin éclairé par la lune et qui aboutissait à la gare. Elle traversa Shorncliffe dont toutes les fenêtres étaient noires. Elle passa sous le porche sombre, sous l’ombre épaisse que les tours massives du château projetaient sur le cours du ruisseau. Elle quitta la ville et s’engagea dans un chemin désert, tour à tour éclairé et plongé dans l’obscurité, sans trembler dans son abnégation, et n’ayant qu’une unique idée en tête : « Arriverait-elle à temps ? »