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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

ordonné un grand feu, un feu qui devait durer plusieurs heures.

Le propriétaire de Maudesley Abbey portait sur son visage les traces de son long emprisonnement. Son teint était plombé, ses joues creuses, ses yeux semblaient plus grands qu’autrefois et brillaient d’un éclat inaccoutumé. Les longues heures de solitude, les longues insomnies, et les pensées qui, de tous les points, venaient converger à un centre hideux, avaient accompli leur œuvre de destruction. L’homme couché près du feu, cette nuit-là, semblait avoir dix ans de plus que celui qui avait fait sa déposition si hardiment et si clairement devant le jury d’enquête à Winchester.

Des béquilles, faites d’un bois léger et poli, et véritable œuvre d’art dans leur genre, étaient appuyées contre une table voisine du canapé, à portée de la main du malade. Il s’était exercé à marcher dans les appartements, et sur le chemin sablé devant le château avec ces béquilles, et même sans leur secours, car maintenant il appuyait sur le sol sa jambe malade ; mais il ne pouvait se mouvoir que lentement et avec difficulté, en dépit de son ardent désir de reprendre la vie active.

Dieu sait le nombre des diverses pensées qui lui traversaient l’esprit cette nuit-là. Il lui revenait d’étranges souvenirs pendant qu’il contemplait les gouffres enflammés et les degrés fragiles qui se dessinaient dans le feu : souvenirs de jours écoulés depuis si longtemps, que tous les personnages de cette période lui faisaient l’effet de héros de romans ou de figures de tableaux. Il voyait leurs visages et se rappelait l’expression qu’ils avaient en lui parlant, et, parmi tous ces visages, il revoyait tous ceux qui lui avaient successivement appartenu.

Quels changements, grand Dieu ! L’ardeur joyeuse et franche de l’enfant jetant ses regards sur un monde