Page:Braddon - Henry Dunbar, 1869, tome II.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
174
HENRY DUNBAR

qui l’enchantait ; le sourire plein d’espoir du jeune homme ; et puis… et puis, avec les années, l’expression devenait de plus en plus grave, le sourire ne s’illuminait plus de la lumière intérieure, le visage devenait plus sombre à mesure que l’âme devenait plus noire. Il vit tout cela, et enfin, comme toujours, au milieu de mille idées confuses, ses pensées, n’obéissant plus à sa propre volonté, convergeaient vers un centre hideux et maudit, et l’y tenaient enchaîné pieds et poings liés, comme un criminel sur le chevalet du tortionnaire.

— Si je pouvais seulement quitter cette maison, — se disait-il à lui-même ; — si je pouvais m’en aller, tout irait autrement. Le changement de lieux, le mouvement, les voyages de ville en ville dans des pays étrangers produiraient sur moi leur effet habituel. Cette pensée s’effacerait alors comme toutes les pensées ; peut-être reviendrait-elle parfois dans un rêve, ou bien serait-elle évoquée par quelque allusion due au hasard de la conversation, par quelque ressemblance avec un incident, un visage, une intonation, un regard. Ce souvenir n’est pas si supérieur en iniquité aux autres, qu’il ne puisse s’effacer quand ceux-ci ont disparu. Mais tant que je resterai ici, où le pétillement des flammes dans l’âtre, le bruit de la pendule sur la cheminée, sont semblables à cette torture dont j’ai lu la description quelque part, semblables à cette goutte d’eau tombant à intervalles réguliers sur le front de la victime et finissant par le rendre fou furieux, tant que je resterai ici, il n’y a pas d’espérance d’oubli, pas de paix possible. Je l’ai revu la nuit précédente, et toutes les autres nuits. Lorsque je vais me coucher, je le vois toujours souriant comme il me souriait lorsqu’il entra dans le petit bois. J’entends sa voix, les mots qu’il prononça, chaque syllabe de ses paroles insignifiantes, réflexions égoïstes sur la probabilité