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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

de la fatigue que lui causerait sa longue promenade, sur la facilité qu’on aurait eue de louer une voiture et de suivre la grande route… Bah ! Pourquoi son souvenir m’attristerait-il ? Le regretté-je ? Non ! C’est sur moi que je gémis et sur la torture que je me suis créée. Oh ! mon Dieu ! je le vois encore quand il me regarda une fois dans l’eau. La vitesse du courant donnait une apparence de vie à son visage, et il me sembla un instant qu’il était encore vivant et que je n’avais pas commis le meurtre !

Telles étaient les agréables rêveries du coin du feu à l’aide desquelles le maître de Maudesley Abbey charmait les longues heures de sa convalescence. Dieu garde nos mémoires de semblables pensées, et nous préserve de ces actions hideuses qui rendent la solitude redoutable !

Le maître de Maudesley Abbey fut soudain tiré de sa rêverie par un léger coup frappé à l’une des fenêtres du salon où il se tenait, la fenêtre la plus voisine du canapé sur lequel il était couché.

Il tressaillit et se dressa sur son séant.

— Qui est là ? — s’écria-t-il avec impatience.

Il avait peur, et il se prit le front à deux mains, essayant de deviner quel pouvait être ce visiteur attardé. Pourquoi venait-on le voir à une heure pareille, sinon parce qu’il était découvert ? Cela ne s’expliquait pas autrement,

À cette idée, la respiration lui manquait. Était-il donc enfin venu ce moment terrible auquel il avait songé si souvent, cette horrible crise qu’il s’était représentée sous tant d’aspects divers ? Était-elle venue de la sorte ?… à pas de loup, au milieu de la nuit, sans crier gare ?… sans qu’il se fût préparé à la défense ou cuirassé contre le choc ? L’heure était-elle sonnée ? Telles étaient les idées de cet homme en écoutant le bruit extérieur ; et sa poitrine se soule-