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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

l’homme qui avait été trahi et offensé si cruellement, la soif de richesse, engendrée par la lente torture de la pauvreté, s’étaient levés dans la poitrine de cet homme à la vue de Dunbar. Un meurtre hideux avait été accompli et les deux passions avaient été assouvies, et Wilmot, le garçon de banque, le domestique de confiance, le faussaire, le convict, le condamné libéré, le réprouvé sans ressources, était devenu propriétaire d’une fortune d’un million.

Oui, voilà ce qu’il avait fait. Il était arrivé à Winchester un soir du mois d’août avec quelques souverains et quelque menue monnaie dans sa poche et une existence de dénûment et de honte devant lui. Il avait tué Dunbar et avait quitté cette ville principal associé de la maison Dunbar, Dunbar et Balderby, seul propriétaire de Maudesley Abbey, des domaines du comté d’York et de la maison de Portland Place. C’était assurément le triomphe du crime, le chef-d’œuvre de la fourberie. Mais l’auteur de ce crime avait-il goûté un seul instant de bonheur depuis ce moment… avait-il eu un seul moment de paix… un seul moment où il ne ressentît pas cette torture lente et sourde qui lui faisait croire à l’existence de quelque animal de proie lui déchirant les entrailles ? L’auteur des Confessions d’un mangeur d’opium souffrait si cruellement d’une torture interne qu’il s’imagina qu’il avait en lui un être vivant dont l’existence se passait à le déchirer. C’était là une idée de malade ; mais que dire du serpent qu’on appelle Remords qui se roule autour du cœur du meurtrier et l’enserre à tout jamais de son étreinte mortelle, sans qu’il puisse jamais battre librement ni connaître un sentiment exempt de douleur ou une douce émotion ?

Quelques minutes avaient suffi, tandis que les grolles criaient au sommet des ormes et que les feuilles vertes s’agitaient sous une chaude brise d’été, que les