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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

moyen de faire durer cela un peu plus longtemps ? Il me semble cependant que quand il s’agit de rendre un homme fou furieux, plus tôt ce but est atteint, mieux cela vaut !

Tout ceci fut murmuré à mi-voix, de façon que l’employé n’en entendît rien. C’était une manière de soupape de sûreté par laquelle l’agent laissait échapper son trop-plein de colère.

— Sawney a la veine, — pensait-il en arpentant le quai, — Sawney a les atouts en main, cette fois, et s’il était assez fourbe pour les jouer contre moi… Mais je ne crois pas qu’il agisse de la sorte ; notre profession a des habitudes plus convenables, et un traître y aurait toutes les chances de se faire chasser honteusement. On aurait bientôt fait de lui donner à entendre que l’état de sa santé lui fait un devoir de se retirer au plus vite. Ou bien on lui adresserait une missive dans le goût de celles en usage chez les soldats lorsqu’ils veulent se débarrasser d’un mauvais chien d’officier.

Les rafraîchissements abondaient à Derby, et avant de se retirer dans la salle d’attente pour prendre ce qu’il appelait un à-compte, Carter se fit servir un bol de café bouillant et une formidable pile de sandwichs. Moyennant un petit pourboire, un facteur s’engagea à le réveiller cinq minutes avant le départ du train de Normanton.

Dans la salle d’attente, éclairée par une lampe fumeuse, il y avait un grand feu de coke. Une dame, à moitié ensevelie sous des châles et entourée par une petite fortification de boîtes et de paquets, était assise près du feu. À l’entrée de Carter, elle se réveilla en sursaut et se cramponna à ses bagages, plongée qu’elle était dans ce demi-sommeil pendant lequel une femme isolée prend volontiers chaque voyageur pour un malfaiteur.