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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

Il parcourut le quai du regard. Non, Tibbles ne l’avait pas trahi. Ce gentleman était là regardant descendre les voyageurs de voiture, et paraissant plus jaune que jamais à cette heure matinale. Il mâchait à vide avec plus d’énergie que de coutume, et Carter, qui connaissait à fond les caractéristiques de son aide, reconnut à ce signe que les choses allaient mal.

— Eh bien ! — dit-il en posant la main sur l’épaule de Sawney Tom, — vous a-t-il échappé ? Voyons, franchement ; je le vois, de reste, sur votre visage.

— C’est vrai, — répondit Tibbles d’un ton vexé ; mais, quoi qu’il en soit, vous n’avez pas besoin de me faire les gros yeux, car il n’y a pas de ma faute. Si jamais vous avez suivi une anguille boiteuse et une anguille boiteuse qui se sert de son infirmité comme d’un avantage, vous savez alors ce que c’est de suivre ce monsieur à l’habit fourré.

L’agent passa son bras sous celui de son second et conduisit Tibbles en dehors de la gare, dans un endroit désert situé derrière le bâtiment.

— Maintenant, — dit Carter, — dites-moi ce qui s’est passé et n’omettez rien.

— Voilà, — répondit Sawney. — J’attendais à la gare de Shorncliffe, et, à environ deux heures cinq minutes, je vis le grand gentleman arriver et prendre son billet. Je l’entends dire : « Derby ; » sur quoi j’attends qu’il ait quitté le guichet et je prends mon billet pour le même endroit. Nous arrivons là après mille ennuis et tracasseries de toutes sortes, changeant de voitures toutes les trois minutes, enfin ne faisant que cela pendant tout le voyage. Malgré tout, je guette mon gentleman qui boitait énormément, et regardait d’un air soupçonneux autour de lui pour voir si on le suivait. Et naturellement, il ne s’aperçut de rien ; il n’y avait pas de danger. De tous les jeunes gens innocents qui furent jamais exposés aux tentations de ce monde per-