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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

seul que je suis venu ce soir, Margaret. J’ai autre chose à vous dire.

Il y avait dans la voix du caissier, pendant qu’il prononçait ces dernières paroles, une tendresse qui ramena la rougeur sur les joues pâles de Margaret,

— Vous savez que je vous aime, Margaret, — dit Clément à voix basse et d’un ton sérieux, — vous devez savoir que je vous aime, ou si vous ne le savez pas, c’est parce qu’il n’y a pas de sympathie entre nous, et dans ce cas mon amour est sans espoir. Je vous ai aimée, chère Margaret, depuis la première… oui, depuis la première soirée où je vis à la lueur du crépuscule votre figure pâle et pensive dans ce petit jardin poudreux de Wandsworth. Le tendre intérêt que je ressentis alors pour vous fut le premier rayon mystérieux de l’amour, quoique dans ma sagesse je l’attribuasse à une admiration d’artiste pour votre beauté. C’était l’amour, Margaret, et il a grandi et s’est fortifié dans mon cœur depuis cette soirée d’été au point de m’amener ici ce soir pour tout vous avouer et vous demander s’il me reste quelque espérance. Ah ! Margaret, vous avez dû deviner mon amour depuis longtemps. Vous m’auriez éloigné de vous si vous aviez compris qu’il était sans espoir, vous n’auriez pas pu être assez cruelle pour me tromper.

Margaret releva la tête, et fixa sur son amant un regard d’épouvante. Elle avait donc eu tort d’être heureuse en la compagnie de Clément, si elle ne l’aimait pas… si elle ne l’aimait pas. Mais assurément ce tressaillement de triomphe et de plaisir qu’elle éprouvait en entendant parler Clément devait être quelque peu parent de l’amour.

Oui, elle l’aimait, mais les belles choses de ce monde n’étaient pas faites pour elle. L’Amour et le Devoir se disputaient la conquête de son âme pure : et le devoir était vainqueur.