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HENRY DUNBAR

ce gentleman. Il ne fut pas déçu, car, quoique la gare eût un aspect lugubre et eût à peine commencé à donner signe de vie pour effectuer le départ d’un train de marchandises, il trouva son fidèle compagnon promenant mélancoliquement, dans un désert de voitures vides et de machines éteintes, la pâleur cadavéreuse de son visage, relevée cependant par un nez rougi par la bise.

Tibbles n’était pas précisément d’une charmante humeur par cette froide matinée. Il agitait les bras et battait la semelle, et il continua ces deux exercices tout en causant avec son supérieur d’un air irrespectueux, sinon moqueur.

— Vous me faites jouer un joli jeu, — dit-il d’un ton vexé. — Vous m’avez dit de veiller à la gare et que, dans le courant de la journée, vous viendriez me prendre et que nous dînerions convenablement ensemble à l’hôtel de la gare. Oui, va-t’en voir s’ils viennent ! — continua Tibbles avec une ironie amère dans la voix et dans le regard.

— Allons ! allons, Sawney, ne prenez pas mal la chose, — dit Garter d’un ton caressant.

— Je voudrais bien savoir où est celui qui la prendrait bien ? — répondit Tibbles indigné. — Vous auriez eu affaire à un ange, ce qui heureusement n’est pas possible, car ça serait la ruine de la profession, vous auriez eu affaire à un ange qu’il aurait perdu patience s’il avait enduré ce que j’ai enduré. Poser dans cette gare exposée à tous les vents et où il y a assez de courants d’air pour faire croire à un ignorant que la rose des vents a au moins dix-sept divisions ! Poser là, guetter les trains les uns après les autres, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à guetter que les commissionnaires ou les bagages, ou bien passer son temps au café de l’hôtel là-bas pour savoir l’heure du train suivant, et tout cela pour tenir la parole qu’on