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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

ral qui ne nécessita l’apport que d’un capital très-modeste, je devins le plus jeune associé de la maison, qui prit dès lors la raison sociale de Dunbar, Dunbar, Balderby et Austin. Les deux Dunbar nous étaient encore nécessaires, quoique le dernier d’entre eux fût mort et reposât sous le chœur de l’église de Lisford. Le vieux nom était le sceau de notre dignité comme étant celui d’une des plus anciennes maisons de banque anglo-indienne de Londres.

« Ma nouvelle existence était assez pénible. Il y avait tant d’affaires à traiter, tant de responsabilité dont j’avais seul le poids (car Balderby devenait gras et paresseux en ce qui concernait les affaires de la Cité, quoiqu’il fût infatigable pour la culture des ananas ou des raisins de serre), qu’il me restait bien peu de temps à consacrer au chagrin de mon existence. Un négociant peut avoir le cœur brisé à la suite d’un amour sans espoir, mais il ne faut pas qu’il y songe pendant les heures réservées aux affaires, s’il tient à conserver son honorabilité, car chacune des pensées qu’il laissera s’égarer à la recherche de l’absente adorée est une trahison contre les intérêts qu’il est de son devoir de faire prospérer.

« Lorsque, après dîner, je fumais mon cigare dans les bosquets et les sentiers miniatures du jardin de ma mère, je pouvais me permettre de songer à Margaret : et j’usais de ce loisir et je priais pour elle avec toute la ferveur que peut contenir un cœur dévoué. Et à l’heure calme du crépuscule du soir, respirant la légère odeur des fleurs humides de rosée, les yeux fixés sur les étoiles commençant à scintiller dans un ciel d’opale sur lequel se détachaient en noir les branches des ormes, je caressais l’idée, ou plutôt l’influence de l’heure et du lieu me faisait caresser l’idée que je n’étais que momentanément