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HENRY DUNBAR

séparé de Margaret. Nous nous aimions tant tous deux ! Et, après tout, qu’y a-t-il sous le ciel de plus puissant que l’amour ? Je songeais à la pauvre enfant et je la voyais dans quelque retraite mélancolique, se cachant avec son misérable père, en compagnie journalière avec un malheureux dont l’existence devait être un fardeau pour lui-même. Je songeais à l’abnégation, au dévouement héroïque qui rendait Margaret assez forte pour endurer une pareille existence, et de ma foi dans la justice du Ciel sortit la conviction d’une vie plus heureuse qui attendait la noble enfant.

« Ma mère m’encourageait dans cette pensée. Elle connaissait maintenant toute l’histoire de Margaret, et elle partageait mon amour et mon admiration pour la fille de Wilmot. Il aurait fallu un cœur de femme bien froid pour ne pas apprécier tout le dévouement de celle que j’adorais, et ma mère était la dernière femme qui eût manqué de tendresse et de compassion pour quiconque avait besoin de sa pitié et était digne de son amour.

« Donc, nous caressions mentalement l’image de la jeune fille absente, parlant sans cesse d’elle dans nos tranquilles soirées, assis face à face dans le petit salon où nous recevions bien rarement du monde. Il ne faut pas croire cependant que nous menions une existence morose et retirée, car ma mère aimait fort une agréable compagnie. Mais j’étais aussi distrait et aussi préoccupé au milieu du bourdonnement de voix joyeuses que j’aurais pu l’être dans un ermitage dont le calme n’eût été troublé que par les gémissements du vent.

« Au plus fort de l’hiver qui suivit la disparition de Wilmot, il arriva un incident qui me causa un mélange étrange de plaisir et de douleur. Un soir, j’étais dans la petite salle à manger de ma mère, petite