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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

Pour Margaret, assise commodément dans le coin d’un wagon de première classe, ayant à ses côtés l’homme qu’elle aimait, ce voyage eut du moins le charme de la nouveauté. Jusqu’à cette époque ses voyages n’avaient été que de longs et ennuyeux pèlerinages dans des wagons de troisième classe à courants d’air, à voisins bruyants, et où l’atmosphère était saturée des parfums nauséabonds de toutes sortes de spiritueux.

Son existence avait été pénible et constamment assombrie par le voile épais de la honte. C’était chose nouvelle pour elle que d’être tranquillement assise à regarder les prairies, les villas aux murs blancs scintillant dans le lointain, les bosquets épars çà et là, les villages et les eaux bleues qui miroitaient au soleil d’hiver. C’était chose nouvelle pour elle d’être aimée par des personnes dont l’esprit n’était pas aigri par les souvenirs amers de l’injure et du crime. C’était chose nouvelle pour elle d’entendre des voix douces, des paroles tendres, et de respirer l’air pur et serein qui entoure ceux qui mènent une existence vertueuse et qui vivent dans la crainte de Dieu.

Mais il est rare que là où brille le soleil l’ombre n’existe pas. L’ombre qui pesait actuellement sur la vie de Margaret était celle de la tâche prochaine, cette horrible tâche qu’il fallait remplir, avant qu’elle pût remercier Dieu de ses bontés et être heureuse.

Le train de Londres arriva à Shorncliffe de bonne heure dans l’après-midi. Clément loua un vieux fiacre spacieux et conduisit ses compagnes au vieil hôtel du Grand-Cerf.

Le Grand-Cerf était un hôtel confortable et disposé à l’antique. Il avait joui d’une très-grande renommée à l’époque des diligences ; on entrait dans l’hôtellerie par un grand portail massif sous lequel avaient jadis