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HENRY DUNBAR

Grand-Cerf n’était pas une institution ancienne, entra bientôt après avec le premier service.

Le hasard avait fait que ce jour-là on avait pu se procurer du poisson à Shorncliffe, et le premier service se composait de deux petites soles et d’une ménagère. Le domestique ôta le couvercle en le brandissant d’une façon aussi hautaine que si les deux petites soles eussent été le plus noble des turbots qui aient jamais fait honneur au festin d’un alderman.

Clément se mit à table par déférence pour sa mère ; mais il lui fut impossible de manger.

Son oreille était tendue pour tâcher de percevoir le bruit des pas de Margaret dans le corridor extérieur ; et il repoussa la sauce du poisson, que lui offrait le domestique, d’un ton qui blessa presque ce fonctionnaire. Son esprit était à la torture par suite de l’inquiétude que lui causait l’absence de la jeune fille.

L’avait-il dépassée au retour ? Non, c’était tout à fait impossible ; car il l’avait guettée sur la grande route solitaire avec un œil si perçant, qu’il était plus qu’invraisemblable que la tournure qui lui était si bien connue, et qu’il cherchait avec une si grande attention, ait pu échapper à ses regards. Dunbar l’avait-il retenue contre son gré à Maüdesley Abbey ? Non, non, ceci était complètement impossible ; car le valet de pied avait déclaré nettement qu’il avait vu la visiteuse de son maître sortir de la maison, et le ton du valet de pied avait été très-simple et très-innocent en lui donnant cette assurance.

Peu à peu la table fut débarrassée, et Mme Austin prit plusieurs laines de couleur et deux grandes aiguilles en ivoire pour faire du crochet, et se mit tranquillement à l’ouvrage à la lueur des bougies ; mais cependant elle commençait à se sentir mal à l’aise par suite de l’absence de la fiancée de son fils.