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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

quier à Saint-Gundolph Lane, et il avait songé avec une étrange anxiété à une rencontre avec l’homme que Margaret déclarait être le meurtrier de son père.

Il fixa sur Dunbar un regard sérieux, scrutateur, comme s’il eût voulu découvrir sur la figure de cet homme le secret de sa culpabilité ou de son innocence.

La physionomie du banquier était pâle, grave et sévère, mais Clément savait que pour Dunbar il existait des souvenirs humiliants et désagréables qui se rattachaient au bureau de Saint-Gundolph Lane, et on ne pouvait guère s’attendre à ce qu’un homme entrât le sourire aux lèvres dans une maison d’où il était sorti trente-cinq, ans auparavant disgracié et flétri.

Pendant quelques instants les deux hommes s’arrêtèrent dans le corridor entre le bureau public et le cabinet particulier, s’étudiant réciproquement du regard.

Le regard du banquier ne faiblit pas durant cette épreuve. On considère comme une forte preuve de l’innocence d’un homme la fermeté avec laquelle il soutient le regard quand on l’examine d’un œil visiblement soupçonneux ; mais ne serait-il pas le plus maladroit des coquins s’il redoutait d’être ainsi étudié lorsqu’il sait que c’est une épreuve qu’on lui fait subir ? C’est plutôt l’innocence qui baisse la paupière quand vous rivez sur elle vos yeux inquisiteurs, car l’innocence s’épouvante de ces regards durs et accusateurs qu’elle n’est pas prête à affronter. Le crime vous dévisage hardiment, car le crime est endurci et plein d’audace, et il a sur l’innocence cette grande supériorité qu’il est prêt à tout ce qui peut lui arriver de pire.

Clément ouvrit la porte du cabinet particulier de Balderby. Dunbar entra sans être annoncé. Le caissier ferma la porte, et revint à son pupitre dans le bureau public.