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HISTOIRE D’UN RÉPROUVÉ

dèle et de la dernière élégance. Le service du déjeuner s’adaptait harmonieusement à la saison, et il était calculé évidemment pour produire un vaste grelottement chez les hôtes du Grand-Cerf.

Mais Clément n’accorda pas même un regard à la table préparée pour le déjeuner. Il s’élança vers la fenêtre cintrée où Margaret était assise, son châle jeté sur ses épaules, et son chapeau sur une chaise à côté d’elle.

— Margaret ! — s’écria Clément en s’approchant de l’endroit où la fille de Wilmot était assise, — ma chère Margaret, pourquoi vous êtes-vous levée si tôt ce matin, vous qui avez tant besoin de repos ?

La jeune fille se leva et regarda son prétendu avec une expression de calme et une solennelle gravité ; mais sa figure était aussi blanche qu’elle l’était la veille au soir, et ses lèvres tremblaient un peu alors qu’elle parla à Clément

— J’ai dormi assez longtemps, — dit-elle d’une voix grave et émue ; — je me suis levée de bonne heure parce que… parce que… je m’en vais.

Ses deux mains, qui étaient restées nonchalamment cachées sous les franges de son châle, se levèrent alors et se croisèrent dans un mouvement convulsif ; mais elle ne détacha pas un seul instant ses yeux du visage de Clément, et son regard ne se troubla jamais en se fixant sur lui.

— Vous vous en allez, Margaret ? — s’écria le caissier ; — vous partez… aujourd’hui… ce matin ?

— Oui, par le train de neuf heures et demie.

— Margaret, il faut que vous soyez folle pour me dire une chose pareille.

— Non, — répondit doucement la jeune fille ; — c’est là ce qu’il y a de plus étrange au milieu de tout… c’est que je ne suis pas folle. Je pars, Clément… monsieur Austin. J’aurais désiré pouvoir éviter votre vue… J’avais pensé à vous écrire pour vous dire…