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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

n’étaient plus jeunes et pas jolies : deux ou trois vieilles filles isolées qui faisaient durer autant qu’elles le pouvaient leur petit avoir en vendant des broderies qu’elles confectionnaient elles-mêmes, et une vieille veuve, extrêmement grasse, soupçonnée d’être énormément riche, mais très-avare.

« C’est la veuve Harpagon elle-même ! » disait Mme Magnotte.

Elle avait deux filles horriblement laides que, pendant les quinze dernières années, elle avait traînées dans les pensions du quartier, espérant toujours rencontrer deux célibataires étrangers et imprudents qui consentiraient à devenir ses gendres.

Il y avait aussi une pâle jeune dame qui donnait des leçons de musique.

Côté des femmes, c’était tout.

Gustave était le préféré ; sa gracieuse courtoisie avec ces femmes était en quelque sorte un témoignage de ce bon vieux sang duquel son père se glorifiait de descendre. François Ier, qui écoutait à genoux et la tête découverte les discours de sa mère, n’était pas plus respectueux envers la noble Savoyarde que Gustave avec les vieilles de la Pension Magnotte.

En réalité, le cœur du jeune homme était aussi tendre et aussi faible que celui d’une femme. Il suffisait d’être malheureux pour l’intéresser, et ceux qui tenaient à sa sympathie faisaient bien d’être pauvres.

Il passait quelquefois ses soirées dans le désert, qualifié de salon, et écoutait respectueusement pendant que Mlle Servin, la jeune maîtresse de musique jouait du Gluck ou du Grétry sur un vieux piano fêlé qui n’avait plus de souffle, ou prêtait l’oreille au récit des splendeurs passées de Mme Magnotte.