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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Celle-ci lui ouvrait son cœur, comme jamais elle ne l’avait ouvert à aucun autre de ses jeunes locataires.

« Ils se moquent de tout… même de la religion, s’exclamait-elle avec horreur. Ce sont des Diderot et des d’Holbach en herbe, moins le talent ; mais vous n’êtes pas du bois dont ils sont faits. Vous êtes du vieux sang de France, monsieur Lenoble, et je puis avoir en vous une confiance que je n’aurais pas en eux. Moi qui vous parle, moi, aussi, je suis de race pure, et entre nous autres, vous savez, il y a toujours une secrète sympathie. »

Puis, après l’avoir entretenu de sa splendeur perdue, la dame l’invitait quelquefois à de petits soupers qu’elle offrait à ses locataires féminins, lorsque les étudiants n’étaient pas à la maison.

Pendant quatre ans, l’étudiant en droit vécut ainsi à Paris. Il n’était pas absolument paresseux, mais non plus très-studieux ; il s’amusait beaucoup et n’apprenait que fort peu de chose.

Plus économe que ses camarades, il n’en était pas moins une lourde charge pour sa famille. En fait, cette bonne, vieille famille normande était, sous le rapport pécuniaire, tombée très-bas. Il y avait une pauvreté réelle dans la maison décrépite de Beaubocage, bien que ce fût une pauvreté qui avait bon visage.

Un très-humble fermier anglais eût méprisé le revenu qui soutenait le ménage Lenoble ; l’économie et l’habileté de Mme Lenoble et de sa fille parvenaient seules à soutenir l’honneur de la petite maison.

Une grande espérance était entretenue au même degré par le fier et bon vieux père, par la tendre mère et la sœur dévouée, c’était l’espérance des choses qui devaient être faites dans l’avenir par Gustave, le fils, l’héritier, l’étoile polaire de la famille.