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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

sent singulièrement séduit un homme plus sentimental.

Malheureusement Sheldon n’était pas sentimental et toute démonstration de sentiment semblait produire sur ses nerfs un effet irritant : par moments même il reculait effrayé devant une brusque caresse de Charlotte, comme devant la piqûre d’un serpent.

Était-ce aversion, crainte, ou surprise qu’exprimait sa figure dans ces moments ?

Quelle que fût cette étrange expression, elle disparaissait trop vite pour qu’on pût l’analyser, et l’agent de change remerciait sa belle-fille avec son sourire habituel, le sourire qu’il avait à la Bourse, le sourire qu’il ne quittait pas, même dans ses heures les plus tourmentées.

Pour Valentin, pendant ces jours charmants, la vie s’écoulait magnifique, pleine d’espérances.

Il avait transporté toutes ses hardes et autres biens mobiliers à l’agréable logement qui le rapprochait de Charlotte en même temps qu’il le mettait hors du chemin de son ex-patron, s’il revenait du Continent.

La fortune le favorisait ; la quiétude, la gaîté que le bonheur lui apportait donnaient à sa plume une grâce facile. Il écrivait de très-jolies choses, pleines de fraîcheur ; tout lui apparaissait éclairé par le charme de l’amour et de la beauté.

Son Pégase pouvait n’être qu’un cheval de louage ; mais la monture, jeune et légère, galopait gaîment en aspirant l’air du matin.

Ce n’est pas à tous les poètes qu’il est donné de franchir d’un seul bond, sur le dos de Pégase, un aussi vaste espace de terre et de mer que celui qu’embrasse l’œil de la vigie placée sur la tour d’un phare perché sur un rocher.