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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Bien que toujours aussi bonne, aussi tendre, aussi aimante que par le passé, cette amie, cette sœur d’adoption ne s’appartenait plus elle-même.

Sur les cœurs les plus fiers Éros exerce son pouvoir en despote, et la douce amitié est réduite à se cacher comme un pauvre chien dans quelque coin du temple où s’élève l’autel de l’amour ; cette noble affection est comme la flamme d’un cierge, vacillante bien que persévérante, demeurant inaperçue dans l’éblouissant rayonnement du flambeau de l’amour, mais qui, si ce flambeau vient à s’éteindre, reparaît avec toute sa gracieuse influence.

Pour Charlotte, Valentin…, pour Valentin, Charlotte, semblait, à ce moment, être le monde tout entier.

L’un et l’autre ils reléguaient dans un abandon nonchalant tous les autres soins, devoirs, affections, et plaisirs de la vie.

Dans le plateau peu chargé de cette balance, Diana avait la part du lion ; mais elle ne sentait pas moins combien les choses avaient changé depuis les jours charmants de leur amitié, de leurs illusions de pension.

Alors Charlotte avait déclaré qu’elle ne se marierait jamais, qu’elle irait voyager avec sa chère Diana, pour connaître ensemble les lieux dont elles avaient lu les descriptions, jusqu’à ce qu’elles eussent trouvé l’endroit le plus agréable de la terre : elles devaient s’y fixer dans un cottage bâti par leur imagination, y passer le reste de leurs jours à cultiver leur esprit et des fleurs, à fabriquer de la tapisserie en laine de Berlin, pour meubler leur salon idéal, et à faire du bien à des paysans imaginaires, tout juste assez pauvres pour être intéressants ou assez malades pour réclamer des dons fréquents de thé vert et de bouillon de veau.