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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

pourrais me flétrir et dépérir sous le poids d’une maladie lente, qui pourrais descendre dans la tombe avant qu’il remarquât, lui, aucun changement sur mon visage, est-il possible qu’il y ait dans l’espèce humaine une créature assez différente de Valentin… pour m’aimer ? »

Telle fut l’amère émotion de son cœur, en comparant la tendresse que lui exprimait cet étranger à l’indifférence de l’homme auquel, pendant trois longues années de sa jeunesse, elle avait donné tous ses rêves, toutes ses pensées, toute son existence.

Elle ne pouvait instantanément le bannir de son cœur : ce faible cœur était encore tendrement attaché à la chère et familière image ; mais plus elle avait été sensible au froid dédain de Valentin, plus elle croyait devoir de reconnaissance à l’affection inattendue de Lenoble.

« Vous me connaissez aussi peu que vous connaissez peu mon père, monsieur Lenoble, dit-elle après une longue pause pendant laquelle ils avaient atteint l’extrémité de l’interminable et triste rue et étaient presque arrivés au square. Revenons un peu en arrière, je vous prie, car j’ai encore beaucoup à vous dire ; Je désire que vous soyez toujours l’ami de mon père, mais, s’il est possible, sans danger pour vous. Mon père est un de ces hommes ardents, toujours prêts à s’embarquer dans quelque nouvelle aventure, qui persistent dans leurs espérances après avoir échoué dix fois. Il n’a pas d’argent, que je sache, à perdre lui-même et ce fait peut, sans qu’il s’en rende compte, le rendre plus indifférent pour l’argent des autres. Je lui ai entendu dire qu’il est en relations d’affaires avec vous, monsieur Lenoble, et c’est à cause de cela que je prends sur moi de vous parler aussi ouvertement. Je ne voudrais pas