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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

— Oui ! répondit-elle avec une inexprimable tristesse.

— Vous aimez quelqu’un plus jeune, plus heureux que moi ?

— Non, monsieur Lenoble, personne.

— Mais vous avez aimé ?… Oui, un mauvais sujet, peut-être… un misérable qui… »

Un spasme de chagrin contracta sa figure pendant qu’il regardait la tête penchée de la jeune fille, dont il ne pouvait dans la demi-obscurité apercevoir les traits.

« Dites-moi, Diana, dit-il aussitôt d’une voix altérée, il n’y a pas entre nous de barrière, d’obstacle irrévocable qui puisse nous séparer pour toujours ? Personne ne peut prétendre que vous lui appartenez en vertu d’un droit… »

Il s’arrêta, puis il ajouta d’une voix plus basse :

« … À la suite d’une faute ?

— Personne, » répondit Mlle Paget en redressant la tête et le regardant en pleine figure.

Même dans la clarté douteuse il pouvait voir la flamme de ce fier et ferme regard qui était la meilleure réponse qu’elle pût faire à ses soupçons.

« Dieu soit loué ! murmura-t-il. Ah ! comment ai-je pu craindre moi-même un instant que vous puissiez ne pas être celle que vous paraissez… la créature la plus pure qui soit au monde ? Pourquoi alors me refusez-vous ? Vous n’avez pas d’amour pour moi, mais vous me demandez mon amitié. Vous m’offrez votre amitié, votre affection même. Ah ! croyez-moi, si ces sentiments sont réels, le temps les convertira en amour. Votre cœur est mort, dites-vous. Et pourquoi ce jeune cœur serait-il mort ? Il ne l’est pas, il n’a besoin que du feu d’un véritable amour pour le rendre à la vie. Pour-