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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

« Oui, s’écria-t-elle, notre Normandie est l’endroit où l’on trouve les jolies filles. Madelon Frehlter, par exemple, n’est-ce pas une très… aimable fille ?

— Sans doute, elle est aimable, répondit Gustave, mais s’il n’y avait pas par ici de fille mieux douée sous l’autre rapport que Mlle Frehlter, il n’y aurait pas de quoi se vanter. Mais il y en a de plus jolies, Cydalise, et toi-même… »

Sur ce, le jeune homme gratifia sa sœur d’un sonore baiser.

Oui, il était clair qu’il avait le cœur libre ; ces façons libres, bruyantes n’avaient rien d’amoureux.

Même l’innocente Cydalise savait qu’aimer c’est souffrir.

À partir de ce moment la mère et la fille s’acharnèrent sur leur victime en lui énumérant les mérites et les charmes de l’épouse qui lui était destinée.

Madelon était miraculeuse sur le piano ; les petites romances de Madelon étaient des prodiges ; ses travaux à l’aiguille de purs chefs-d’œuvre ; le dévouement de Madelon pour sa mère et pour le chien de sa mère avait un caractère héroïque ; le respect que Madelon témoignait au bon abbé Saint-Velours, le directeur de sa mère, ne saurait s’exprimer ; c’était une vertu séraphique, surnaturelle. Une telle fille était trop bonne pour la terre, trop bonne pour tout, excepté pour Gustave.

Le jeune homme écoutait, ahuri.

« Comme vous vous montez à propos de Madelon ! s’exclamait-il ; elle me semble la personne la plus ordinaire que j’aie jamais rencontrée. Elle ne sait rien dire ni que faire de ses bras. Et quels bras ! je n’en ai jamais vus de pareils, ils sont partout à la fois ! Et ses épaules ! Oh ! ciel, quelles épaules ! Il devrait être interdit par la