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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Cydalise fit entendre un léger cri d’horreur.

« Cotenoir !… refuser Cotenoir. Ah ! sûrement, cela n’est pas possible !… mais, pense donc, Gustave…

— Non, Cydalise, tu oublies que la jeune fille va avec le château ; c’est un meuble que nous ne pouvons pas nous dispenser de prendre en même temps.

— Mais elle, si aimable, si pieuse…

— Si ennuyeuse, si bête !…

— Si modeste, si charitable.

— En un mot, si admirablement constituée pour faire une sœur de charité, répliqua Gustave. Mais non, chère Cydalise ; Cotenoir est un beau, grand, vieux château ; mais j’aimerais autant passer ma vie à Toulon, avec un boulet au pied, que dans cet horrible salon où Mme Frehlter se soigne, elle et son chien, et où l’aimable et bon vivant baron ronfle une moitié de sa vie. C’est très-bien pour ces vieilles gens, vois-tu, ma sœur, et pour Mlle Frehlter… car elle a un vieil esprit dans un jeune corps… Mais pour un jeune homme vivant, actif, ambitieux même… Bah ! ce serait la pire de toutes les morts vivantes. Des galères, il y a toujours quelque espoir de s’échapper… un passage souterrain, creusé pendant la nuit avec ses ongles… un travail qui dure vingt ans et plus quelquefois, mais avec une faible lueur d’espérance au bout ; tandis qu’une fois dans ce salon, avec la maman, le chien, le bon, l’onctueux, le paresseux curé ; les ronflements apoplectiques du papa, les romances plaintives et les monotones broderies de sa femme, un homme, serait à jamais perdu. Ah ! brr ! »

Gustave frissonna et les deux femmes frissonnèrent également en entendant ces paroles.

Ce début n’était rien moins qu’encourageant ; cependant Mme Lenoble et sa fille ne perdirent pas tout