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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

volume de Boileau que l’étudiant savait par cœur, il passa et repassa devant un banc sur lequel une dame était assise.

Elle était seule et semblait pensive ; elle traçait sur le sable des figures sans forme avec l’extrémité de son ombrelle.

Il jeta sur elle un regard, d’abord indifférent, plus curieux la seconde fois qu’il passa devant elle, qui devint la troisième très-attentif.

Quelque chose dans son attitude, abandon, manque d’espoir, désespoir même, exprimés par l’inclinaison de la tête, le jeu indifférent de la main qui traçait sur le gravier des caractères sans signification, excita les sympathies de Gustave.

Il l’avait prise en pitié, avant même que son regard eût pénétré jusque dans les profondeurs du chapeau de cette époque ; mais, dès qu’il eut entrevu sa pâle, sa triste figure, une inexprimable compassion s’empara de lui.

Jamais il n’avait vu quelque chose d’aussi désespérément triste.

Jamais il n’avait vu un visage aussi beau en dépit du chagrin qui l’altérait.

Il crut voir Andromaque après qu’elle eut perdu tout ce qui lui était cher au monde ; Antigone, lorsque fut prononcé le terrible décret de bannissement.

Il mit Boileau dans sa poche : cette souffrance qui se révélait à lui sans le vouloir lui inspirait un intérêt plus absorbant que les satires de son poète.

Comme il passait pour la cinquième fois, il jeta sur la dame un regard encore plus investigateur, et cette fois les yeux de celle-ci se levant vers lui rencontrèrent les siens.