Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome I.djvu/281

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
277
L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

« Elle a le petit berceau dans lequel son neveu Gustave dormit la première nuit après son arrivée. Ce petit lit avait été celui de son père trente ans auparavant. Elle pleurait en me contant l’histoire et en me disant comment elle avait veillé ce pauvre petit, qui pleurait pour s’endormir, son bras replié sous sa tête et son visage éclairé par la lune.

« Je fus touchée de la manière dont elle me dit toutes ces choses, et je crois, que si je n’avais pas encore appris à aimer M. Lenoble, je l’aurais aimé par amitié pour sa tante : elle est charmante.

« C’est une créature si innocente et si pure qu’en lui parlant, on fait attention à ses paroles, comme on le ferait vis-à-vis d’un enfant. Elle a environ quarante ans de plus que moi et pour rien au monde je ne voudrais lui parler des gens et des choses que j’ai vus dans les villes d’eaux et dans les salons de jeu. Elle a passé les soixante années de sa vie si complètement en dehors du monde, qu’elle a gardé, au plus haut degré, toute la fraîcheur de son innocente jeunesse. Peut-il exister un philtre magique plus puissant qu’une vie pure, exempte d’égoïsme et qui s’écoule loin du bruit des villes.

« La vieille domestique, qui me sert, a soixante-dix ans et se rappelle les faits et gestes de Mlle Cydalise depuis son enfance. Elle est toujours à chanter les louanges de sa maîtresse et elle voit que j’ai du plaisir à les entendre. « Ah ! Mademoiselle, me dit-elle, épouser un Lenoble, c’est épouser un des anges du bon Dieu. Je ne dirai pas que le vieux Lenoble n’a pas été dur pour son fils. Ah ! oui, mais c’était un noble cœur. Et le jeune monsieur celui qui est mort à Rouen, le pauvre jeune homme ! Ah ! qu’il était bon,