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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

— Si vous voulez avoir l’obligeance de m’indiquer cette maison… » dit la dame en regardant devant elle d’un air égaré.

Elle était évidemment tout à fait indifférente à ce que Lenoble demeurât ou ne demeurât pas dans la pension en question.

« Si vous voulez me le permettre, madame, j’aurai l’honneur de vous y conduire, ce n’est qu’à deux pas d’ici. »

L’étrangère accepta cette politesse avec une gracieuse insouciance qui n’était pas de l’ingratitude, mais plutôt une impuissance à éprouver d’autre sentiment que celui du chagrin qui semblait l’absorber.

Gustave se demandait quelle calamité pouvait ainsi accabler une femme si jeune et si belle.

La dame demeura tout à fait silencieuse pendant le trajet du jardin du Luxembourg à la rue Madame.

Gustave la considérait attentivement pendant qu’il marchait à son côté.

Elle n’avait pas plus de vingt-trois à vingt-quatre ans, et était décidément la plus jolie femme qu’il eût jamais vue ; c’était une blonde délicate, une beauté anglaise un peu fatiguée et flétrie comme par les soucis, mais aussi, à cause de cela, idéalisée, plus divinement belle.

Dans ses beaux jours, cette étrangère avait dû être d’une beauté éblouissante ; dans sa misère, elle était intéressante au plus haut degré. C’était ce que les concitoyens de Gustave appellent une beauté navrante.

Il l’observait avec étonnement.

Ses vêtements étaient d’une certaine élégance, mais ils avaient perdu leur fraîcheur. Son châle, qu’elle portait avec une grâce toute française, était reprisé ; Gustave remarquait ces reprises faites avec soin, mais