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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

qui laissaient deviner la pauvreté de la personne.

Qu’elle fût pauvre, cela n’avait rien d’étonnant ; mais qu’elle fût ainsi triste et délaissée, obligée de chercher son logement dans une ville étrangère, était une énigme peu facile à expliquer.

Gustave introduisit l’étrangère chez Mme Magnotte.

Elle ne jeta qu’un regard » autour du sombre salon ; mais pour Gustave ce seul regard fut suffisamment éloquent.

« Ah ! malheureuse que je suis ! signifiait-il, est-ce là la plus belle demeure qui me soit réservée sur cette terre inhospitalière ? »

« Il semble qu’elle n’appartienne pas à un monde inférieur, » pensa le jeune homme en retournant au Luxembourg, car il avait été congédié sans façon par Mme Magnotte tout de suite après la présentation.

Alors Lenoble, qui avait l’esprit romanesque, se rappela une histoire qu’il avait entendu conter, une sombre et absurde histoire.

Un étudiant trouve un beau jour une femme magnifique assise sur les degrés de la guillotine. Il la saisit, l’emporte. Une fois dans sa chambre, il se jette à ses pieds, lui jure qu’il l’adore. Horreur ! la femme n’était qu’un cadavre sur le cou duquel on avait replacé la tête tranchée.

Cette Anglaise étrange qu’il avait trouvée dans le jardin du Luxembourg n’était-elle pas la sœur jumelle du spectre de la légende ?

Sa beauté et son désespoir lui semblaient ne pouvoir appartenir à la terre. Il lui était impossible de croire qu’elle fût de la même nature que Madelon.

À partir de ce moment, le fardeau qui avait pesé sur son esprit d’une façon vague, intermittente, devint une