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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

moins silencieuse que la dame assise sur les marches de l’échafaud.

Une sorte de mystère paraissait caché sous son chagrin. Peut-être était-ce le fait même de ce mystère qui intéressait Lenoble ?

Toujours est-il que l’inconnu avait frappé l’imagination du jeune homme infiniment plus que sa fiancée.

Il attendit le jour suivant avec anxiété, mais le jour suivant Mme Meynell s’excusa de nouveau se disant indisposée !

Ce fut seulement le troisième jour qu’elle parut à la salle à manger, pâle, silencieuse, distraite, sous la protection de Mme Magnotte, qui paraissait disposée à la bienveillance.

La jeune veuve anglaise faisait sur Gustave l’effet d’un revenant.

Il la regardait de temps à autre, et toujours il voyait dans ses yeux le même regard, ce regard douloureux, désespéré.

Il était lui-même silencieux et distrait.

« À quoi donc rêves-tu, farceur ? lui dit son plus proche voisin. Tu es ennuyeux comme la pluie. »

Lenoble ne pouvait être ni vif ni gai pour faire plaisir à son compagnon d’école : cette étrange figure pâle l’absorbait et l’oppressait en même temps.

Il espérait avoir quelques minutes d’entretien avec la dame anglaise après le dîner, mais elle disparut pendant que l’on mettait sur la table les secrètes préparations qui, à la Pension Magnotte, portaient le nom de dessert.

Pendant plus d’une semaine elle parut ainsi au dîner, mangeant fort peu, ne disant pas un mot, sauf quelques monosyllabes que l’hôtesse arrachait de temps en temps à ses lèvres pâles.