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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

Une personne tout à la fois si belle et si profondément triste en intéressa bientôt d’autres que Gustave ; mais sur personne sa tristesse et sa beauté ne firent une si grande impression que sur lui ; son image le poursuivait.

Il quitta ses plaisirs, ses distractions ordinaires : il préférait passer ses soirées dans l’horrible salon, se tenant pour satisfait d’entendre le caquetage des vieilles dames, les lugubres sonates de la petite maîtresse de musique, le bruit monotone des voitures qui passaient dans la rue, n’importe quoi plutôt que les bruits habituels de sa vie d’étudiant qui lui avaient été si doux jusque-là.

Il ne manquait pas d’adresser à Cydalise sa lettre de chaque semaine ; mais, pour une raison ou pour une autre, il s’abstenait de faire aucune allusion à la dame anglaise, bien qu’il fût dans ses habitudes de raconter toutes ses aventures pour l’amusement de la famille à Beaubocage.

Un soir vint enfin où l’on obtint de Mme Meynell qu’elle restât avec les autres dames après le dîner.

« Vous êtes bien froidement et bien tristement dans votre chambre à coucher, lui avait dit Mme Magnotte ; pourquoi ne pas passer la soirée avec nous ?

— Vous êtes bonne, madame, avait murmuré la dame anglaise, avec le bas et timide accent dont le son paraissait si plaintif à l’oreille de Gustave ; si vous le désirez, je resterai. »

Elle semblait se soumettre plutôt par crainte ou embarras de formuler un refus que par l’espérance d’un plaisir.

C’était un soir de mars, froid, orageux ; le vent d’est chassait des nuages de poussière le long de la rue Ma-