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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

dame et le petit nombre de passants qui montaient ou descendaient la rue, paraissaient transis.

Les vieilles dames étaient groupées auprès du grand poêle de faïence et jasaient à la lueur du crépuscule.

La maîtresse de musique alla à son pauvre piano et se mit à jouer sans que personne le lui eût demandé ; on n’y fit pas attention.

Gustave, qui ordinairement tournait les feuilles, paraissait, ce soir-là, complètement indifférent à la musique.

Mme Meynell s’était assise, seule, près de l’une des fenêtres, à demi cachée sous les rideaux de damas jaune fanés, regardant dans la rue.

Une sorte d’impulsion à laquelle il tenta vainement de résister, entraîna Gustave vers elle ; il s’avança donc près de l’Anglaise.

Ce soir-là, comme dans le jardin du Luxembourg, elle lui sembla être la statue vivante du désespoir.

À ce moment, comme alors, il s’intéressait à son chagrin avec une vivacité qui le surprit, mais qu’il n’était pas assez fort pour dominer.

Il éprouvait comme une vague idée que cette sympathie était en quelque sorte une offense pour Mlle Frehlter, pour la femme à laquelle il appartenait, et cependant il s’y abandonnait.

« Oui, je lui appartiens, se disait-il en lui-même, j’appartiens à Mlle Frehlter, Elle n’est ni belle, ni séduisante, mais j’ai tout lieu de la croire très-bonne, très-aimable, et elle est la seule femme, celles de ma famille exceptées, à laquelle il me soit permis de prendre intérêt. »

Ce n’était peut-être pas le texte, mais cela y ressemblait.