Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome I.djvu/36

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
32
L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

pâle, le contour exquis de sa bouche, ses grands yeux rêveurs.

La veuve anglaise continua de venir passer ses soirées au salon de Mme Magnotte.

Les vieilles Françaises bavardaient et s’étonnaient ; mais l’imagination la plus fertile n’eût pu écrire une histoire sur les pages blanches de cette existence privée de tout plaisir. La calomnie même n’eût pu trouver à mordre sur une créature aussi absolument simple que la pensionnaire étrangère.

Les vieilles dames haussaient les épaules, en contractant les lèvres avec une solennité significative ; il y avait certainement quelque chose, un secret, un mystère, chagrin ou mauvaise action, quelque part ; mais de Mme Meynell elle-même aucune ne pouvait supposer le moindre mal.

Gustave entendit peu de chose de ces babillages, mais la dame n’occupait pas moins complètement ses pensées.

Son image venait constamment se placer entre lui et son code, et lorsqu’il songeait à l’avenir, à la demoiselle qui lui était échue en partage pour femme, ses pensées devenaient de plus en plus amères.

« Le sort suit l’exemple de Laban, se disait-il en lui-même ; un homme travaille et remplit son devoir pendant sept ans, après quoi le sort lui donne Léa au lieu de Rachel. Sans doute, Léa est une très-bonne jeune femme, il n’y a rien à dire contre elle, si ce n’est qu’elle n’est pas Rachel. »

Cela n’était pas, pour le futur maître de Cotenoir, une manière encourageante d’envisager les choses.

À partir de ce moment, les lettres de Lenoble à ses curieux parents de Beaubocage devinrent plus courtes